Mié. May 1st, 2024

« Horcynus Orca », de Stefano D’Arrigo, traduit de l’italien par Monique Baccelli et Antonio Werli, Le Nouvel Attila, 1 372 p., 39,90 €, numérique 28 €.

Il y va d’Horcynus Orca, œuvre du poète, romancier et essayiste sicilien Stefano D’Arrigo (1919-1992), comme de l’orque au flanc lacéré qui hante la troisième et ultime partie de ce texte-monde : voilà une création mythique dont l’apparition, dans la plénitude de son expansion, est précédée de signes annonciateurs et de fulgurances fragmentaires.

On y suit, en octobre 1943, sur quatre jours et trois parties, le « notos », le retour chez son père, dans le village de Charyb­de, sur la rive sicilienne du détroit de Messine, de’Ndrja Cambria, marin italien démobilisé. Au fil de la première ­partie s’enchaînent des rencontres qui confrontent contexte historique et entité mythologique, peuple de femmes, magicienne, soldats débandés et pêcheurs locaux. Si la deuxième met en scène les retrouvailles avec le père et en jeu la mémoire de la guerre, marquée par la lutte titanesque avec l’orque et un intarissable monologue joycien de’Ndjra, la troisième partie s’achève par une évocation, encore, de la guerre et de la destruction.

Ce récit, après dix-neuf années de mitonnage verbal, de greffes et de bouturages linguistiques, explose dans la langue italienne en 1975 – une publication arrachée de haute lutte à l’auteur par l’éditeur Mondadori, qui en vendra 80 000 exemplaires. Mais ce joyau a été précédé, à travers les décennies, par maintes apparitions : on a vent, dans les années 1950, d’une Testa delfino (« tête de dauphin »), signée D’Arrigo ; une version réécrite d’une centaine de pages paraît ensuite en 1960 dans la revue Il Menabo, dirigée par Italo Calvino et Elio Vittorini ; en 1957, les poèmes de Codice siciliano (« codex ­sicilien ») lui valent le prix Crotone. Après ces travaux d’approche, il faudra attendre le 27 février 1975 pour appréhender, sous sa couverture bleue, dans sa totale substance, l’écrit-monstre auquel D’Arrigo a voué sa vie et auquel Le Nouvel ­Attila et son éditeur Benoît Virot, secondé par un équipage de vingt personnes, donnent enfin ici une version française, signée Monique Baccelli et Antonio Werli. Une odyssée qu’il est nécessaire, pour bien en prendre la mesure, de reconstituer dès ses origines.

Sicilien d’un village de pêcheurs pauvres du détroit de Messine, Fortunato Stefano D’Arrigo y est élevé par ses mère et grand-mère. Etudiant en défense civile, témoin, entre août et octobre 1943, de la libération de l’Italie entre Messine et Naples, il revient en Sicile pour y soutenir une thèse sur le poète allemand Hölderlin (1770-1843), réflexion académique qui analyse les tensions entre archétypes, mythes ­culturels et contingences de l’histoire. Marié en 1948 à Jutta Brutus, il s’installe à Rome dans le quartier Monte Sacro où, journaliste et critique d’art, il se lie au milieu artistique, ce qui lui vaut, en 1949 et 1950, de séjourner chez le peintre Renato Guttuso (1911-1987) à Scylla, sur la rive calabraise du détroit de Messine, et d’y amorcer une longue méditation sur ce site homérique et l’héritage mythique transmis aux populations locales.

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