Mar. May 7th, 2024

« Les Carnets d’El-Razi » (Akhbar al-Razi), d’Aymen Daboussi, traduit de l’arabe (Tunisie) par Lotfi Nia, Philippe Rey/Barzakh, « Khamsa », 222 p., 20 €, numérique 14 €.

Les écrivains maghrébins d’expression arabe sont doublement marginalisés : par leurs compatriotes d’expression française, qui ont accès au marché éditorial hexagonal sans le filtre de la traduction ; et par leurs pairs orientaux qui, aujourd’hui comme au temps des califes abbassides, dominent l’espace littéraire arabe et trouvent plus aisément le chemin de la traduction dans les grandes langues européennes. La nouvelle collection « Khamsa », consacrée aux fictions arabophones du Maghreb et coéditée par Philippe Rey, éditeur parisien, et Barzakh, éditeur algérois habitué des coéditions avec des partenaires tant arabes que français, est donc aussi nécessaire qu’audacieuse. Elle est inaugurée par deux titres, Les Carnets d’El-Razi, un roman de l’écrivain tunisien Aymen Daboussi, et Des choses qui arrivent, premier recueil de nouvelles de son pair algérien Salah Badis.

On notera au passage qu’il fallait encore plus de culot à Sofiane Hadjadj, fondateur de Barzakh et directeur de cette collection, pour l’inaugurer avec un recueil de nouvelles, genre lui aussi marginalisé dans l’édition française, mais aujourd’hui aussi vivant et reconnu dans le monde arabe qu’en Amérique du Nord ou en Amérique latine. Avec son premier recueil, paru en 2019 en Algérie, Des choses qui arrivent (traduit de l’arabe par Lotfi Nia, 158 pages, 19 euros, numérique 14 euros), Salah Badis (né en 1994) entre de plain-pied dans tout ce qui fait le charme et l’intérêt de ce genre narratif court. Les neuf nouvelles, qui ont pour décor unique Alger et ses périphéries, présentent des personnages et des intrigues des plus divers, qui semblent sortis non de son imagination, mais d’une observation méticuleuse, d’une finesse tout anthropologique, de la société algérienne des années Bouteflika. Jusqu’au moment où s’opère un glissement tantôt imperceptible, tantôt plus marqué, qui fait dérailler le récit dans l’inattendu, voire l’étrange, comme dans les nouvelles de Julio Cortazar (1914-1984).

Dans Les Carnets d’El-Razi, le Tunisien Aymen Daboussi (né en 1982) met en place un processus narratif très similaire. Le roman se présente comme une suite de choses vues, croquées sur le vif à ­l’hôpital psychiatrique El-Razi, dans la banlieue de Tunis, par un narrateur psychologue clinicien, comme l’auteur, qui a lui-même travaillé près de six ans dans cet hôpital. Tout concourt à produire un effet de réel que les excès propres au contexte psychiatrique ne suffisent pas à démentir, surtout quand ils permettent des traits d’humour. Ainsi de ce ­schizo­phrène qui confie au narrateur qu’il a vu Dieu sous son drap, à l’aube. « Je lui ai demandé ce que ça lui avait fait. Il m’a répondu qu’il n’avait pas pu s’empêcher de lâcher un pet, et Dieu avait disparu. » Les anecdotes prennent souvent un tour plus dramatique, entre addictions et tentatives de suicide, échos désespérés de la crise multiforme que traverse la société tunisienne.

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